Avec amour, Emily Dickinson

Publié le par Sidérale

 source : éditions Corti

 
A Susan Gilbert Dickinson

Ressentir ton absence, Sue, est pouvoir.

Le stimulant qu’est le Deuil rend la plupart des Possessions mesquines.

Vivre dure toujours, mais aimer est plus fort que vivre.
Nul Cœur brisé qui ne soit allé plus loin que l’Immortalité.

Les Arbres tiennent la Maison pour toi tout le Jour et l’Herbe semble domptée.

Une Poule silencieuse hante les lieux avec des Poussins superstitieux – et par les Matins tranquilles un Coq frappe à ta Porte.

Regarder par là est Roman.

 Le Roman « sorti », une pathétique valeur s’attache au Rayon.

Rien ne s’en est allé, sauf l’Été, ni personne que tu connaisses.

Les Forêts sont à Demeure – les Montagnes, intimes la Nuit et arrogantes à Midi, et il y a dans l’air une Fluidité solitaire, pareille à une Musique en suspens.

D’un Deuil aussi divin
Nous n’inscrivons que le Gain,
Compensation pour la Solitude
Qu’un tel Délice a été.

Dis à Neddie qu’il nous manque et que nous chérissons le « Capitaine Jinks* ». Dis à Mattie que le Chien de Tim traite le Minet de Vinnie de tous les noms et que je ne le décourage pas. Elle doit revenir à la Maison, les chasser tous les deux et le compte sera bon.
Pour la Grande Mattie* et John, bien sûr, un vif souvenir.
J’espère que tu as chaud.

Je garde ta fidèle place.

Quelle que soit la foule, ta Porte de Diamant possède une solide Serrure.

Emily.


Susan –

Les actes les plus exquis à la fois requièrent et défient la gratitude, aussi le silence est-il tout l’honneur qu’ils obtiennent – mais pour ceux qui savent apprécier le silence, c’est exquisément suffisant –

Dans une Vie qui cesserait de deviner, toi et moi ne nous sentirions pas chez nous –

Pour les fidèles l’Absence est présence condensée.
Pour les autres – mais il n’en est pas d’autres –



           
           A Elizabeth Holland

La vitalité de vos syllabes compense leur rareté.

En général, il ne s’agit pas tant de Vie que de parler de la Vie. Si nous avions la moindre intuition de la Définition de la Vie, les plus calmes d’entre nous seraient des Fous !

Austin a décrit sa visite à sa façon, bien entendu inimitable.
J’espère que ces jeunes Hommes ont le soutien des Évangiles, bien que ce soit un Élixir obscur, dans des cas comme les leurs.
Austin a dit qu’il avait très honte de Mattie* – et elle avait très honte de lui, nous a-t-elle fait savoir. Ils forment un drôle de couple.
Je suis contente que vous aimiez votre Pasteur, bien que l’erreur d’aimer le nôtre** nous ait coûté fort cher.
Dieu semble bien plus amical à travers une Loupe chaleureuse.

Il y a une Colombe dans la Rue et je possède une Boue splendide – je sais par conséquent que l’Été approche.

 J’ai toujours été attachée à la Boue, peut-être à cause de ce qu’elle représente – peut-être, aussi, à cause du lien de l’Enfant avec les Tourtes primordiales.

Vinnie a arboré par trois fois des Joues fraîches, pour le Docteur – mais j’ai pensé qu’il me faudrait avoir le temps de changer les miennes, après sa visite –
C’est ce qui s’est passé.
J’espère que vous êtes tous deux saufs et en douce santé, et qu’à un stade de ma rapide vie, je vous reverrai.

Si nos immortels étaient des Mortels, aussi présents pour nous que la Nature, nous ne demanderions que peu d’Aumônes.

Emily

Publié dans Epistolaire

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article