Pourquoi Nicolas Sarkozy NE PEUT PAS être victime de la "pensée unique"

Publié le par Sidérale

Pourquoi Nicolas Sarkozy NE PEUT PAS être victime de la "pensée unique"
Publié le 19 juin 2007
par dandi

Pourquoi Nicolas Sarkozy NE PEUT PAS être victime de la "pensée unique"

par Fabien Eloire:http://www.interdits.net

Lors de son meeting au Havre, le 30 mai, Nicolas Sarkozy a récidivé. Ce soir-là encore, comme durant toute la campagne présidentielle, il a longuement dénoncé la "pensée unique"

"Lors de son meeting au Havre, le 30 mai, Nicolas Sarkozy a récidivé. Ce soir-là encore, comme durant toute la campagne présidentielle, il a longuement dénoncé la "pensée unique", détournant ainsi le sens d’une expression qui désigne en fait les politiques néolibérales, et notamment le fait que "l’économique l’emporte sur le politique". Cette récupération sémantique est un nouveau brouillage des pistes : le nouveau président français procède en fait à un formidable réductionnisme en désignant comme "pensée unique" la multitude des "pensées contestataires" qui se développent partout, dans la société civile, en réaction à son programme politique. Il espère ainsi décrédibiliser, par avance, tous les mouvements de défense ou de progrès social, qui ne manqueront pas de se former pour lui faire barrage. Pour cette raison, une mise au point s’impose.

There is no alternative Pour revenir aux sources, il faut se référer à l’éditorial d’Ignacio Ramonet, paru dans Le Monde Diplomatique, en janvier 1995. Pour lui, la pensée unique s’agit de "la traduction en termes idéologiques à prétention universelle des intérêts d’un ensemble de forces économiques, celles, en particulier, du capital international". Il en énumère le principe fondamental : "l’économique l’emporte sur le politique". Puis en développe les concepts-clés : "le marché, et sa "main invisible" (…) ; la concurrence et la compétitivité (…) ; le libre-échange sans rivages (…) ; la mondialisation aussi bien de la production manufacturière que des flux financiers ; la division internationale du travail (…) ; la monnaie forte (…) ; la déréglementation ; la privatisation ; la libéralisation, etc. Toujours "moins d’Etat", un arbitrage constant en faveur des revenus du capital au détriment de ceux du travail. Et une indifférence à l’égard du coût écologique". Voici résumé, en peu de mots, le contenu des politiques néolibérales, celles-là même qui visent à créer, partout sur la planète, pour les besoins de la finance mondialisée, des conditions sociales et surtout économiques favorables à l’accumulation maximale et rapide de profits financiers . "La conséquence de ces politiques néolibérales est d’accroître les inégalités, rappelle l’économiste François Eymard-Duvernay. C’est ce que l’on observe effectivement depuis une vingtaine d’années aux Etats-Unis et en Europe. Mais leurs défenseurs considèrent que les inégalités sont un tribut inévitable à payer à l’efficience économique" (L’économie des conventions, tome 2, La Découverte, 2006). C’est ce caractère "inévitable" qui a suscité l’expression "pensée unique". Comme en écho, sans doute, à l’expression utilisée par Margaret Thatcher pour justifier la mise en place de sa politique de libre-échange dans les années 80 en Angleterre : "There is no alternative" (Il n’y a pas d’alternative). Cette vision évidemment contestable tire sa force d’un courant de pensée aujourd’hui hégémonique dans la science économique : la théorie néoclassique orthodoxe. Le grand intellectuel, économiste et philosophe, Cornélius Castoriadis a beau rappeler que "l’échafaudage scientifique de cette théorie s’est écroulé sous les coups des représentants, les meilleurs, de cette même "science" pendant la décennie 1930-1940" (Les Carrefours du labyrinthe, Fait et à faire, tome 5, Seuil, 1997), l’amnésie semble aujourd’hui à peu près totale tant dans les médias que chez les politiques…

Deux pensées uniques ? L’ancrage à gauche du Monde Diplomatique ne fait aucun doute. Ainsi, au moment où Ignacio Ramonet lance l’expression "pensée unique", celle-ci s’adresse bien à la conception de l’économie de la droite… mais aussi d’une certaine gauche qui a fini par en épouser l’idéologie, au nom du "pragmatisme" ou du "réalisme" (lire "à droite toute"). Et c’est là que les choses se compliquent, puisque, à droite aussi, on fustige une "pensée unique" en matière d’économie. Bien avant Nicolas Sarkozy, d’ailleurs. En mars 2001, lors d’un discours au Palais des sports de Paris, Philippe Séguin dénonce "cette pensée unique qui écrase tout, qui aplatit tout, qui conduit tant de gens censés à préférer dire des sottises plutôt que de prendre le risque d’être mis à l’index". Six ans plus tard, avec Nicolas Sarkozy, encore candidat, le ton n’a pas vraiment changé : "Je veux en finir avec le politiquement correct et avec la pensée unique, qui est le point de rencontre de tous les renoncements, de tous les sectarismes, de toutes les arrogances. Je veux en finir avec la pensée unique qui nous a mis dans la situation où nous sommes, qui s’est trompée sur tout, qui a échoué sur tout" (Villebon-sur-Yvette, 20 mars 2007). Il y aurait donc deux pensées uniques ! Une de droite. Une de gauche. Ce qui, comme l’indique Serge July "est somme toute rassurant", puisque, si "tout le monde ne pense pas de la même manière, (…) c’est sans doute la preuve qu’il n’y a pas de pensée vraiment unique" (édito sur RTL, 30 mai 2007). On peut rester à la surface des discours. On peut aussi s’intéresser à ce qu’ils dissimulent. Ignacio Ramonet a défini ce qu’il entend par "pensée unique". Pour lui, c’est un concept "partisan", certes, "idéologique", aussi, mais qui désigne une réalité concrète, largement partagée à gauche, par nombre d’intellectuels, journalistes ou chercheurs en sciences sociales. Ce n’est en rien un concept "creux", "flou" ou simplement "polémique". Alors, qu’en est-il à droite ? Dans le discours de Philippe Séguin, d’abord, "la pensée unique, c’est la pensée de la gauche". Attention, "pas la gauche qui, il y a quelques décennies, parlait encore de justice sociale, de générosité et de vraie solidarité", mais "les politiciens du parti socialiste et les intellectuels branchés qui se fichent pas mal de la justice sociale et de la solidarité nationale. (…) Une certaine gauche qui ne sait plus ce qu’est un ouvrier et pour laquelle le chômeur de longue durée n’est qu’un pauvre malheureux qui manque de flexibilité". Pour le coup, le ton est clairement polémique. Mais, ici, comme chez Ignacio Ramonet, on s’en prend à la politique néolibérale du PS. Et il semble bien que l’expression "pensée unique", chez Philippe Séguin, soit employée dans un sens finalement pas si différent de celui du Monde Diplomatique. Ce qui n’a rien d’étonnant puisque la droite n’est pas uniformément libérale, notamment celle qui tire son héritage du gaullisme social. En 2007, par exemple, le représentant de ce courant gaullien antilibéral de droite était incarné par Nicolas Dupont-Aignan, qui a renoncé à aller au bout de sa candidature…

Sarkozy : une rhétorique fourre-tout Le discours de Nicolas Sarkozy est bien plus ambigu. L’homme a su faire la synthèse des droites françaises. Au sein de son parti, le vote qui a conduit à son élection à la présidence de l’UMP a tourné au plébiscite. A l’extrême, son élection à la présidence de la République a été largement marquée par le report des voix du FN. Au centre, une majorité des députés UDF se sont d’ores et déjà ralliés à sa majorité gouvernementale. Cette synthèse a été réalisée au prix d’une rhétorique fourre-tout, particulièrement efficace sur la forme, mais dont les incohérences, sur le fond, ne résistent pas à une lecture un peu attentive. Florilège : d’après Nicolas Sarkozy, la pensée unique nous dit que "on ne peut rien contre la délinquance, c’est la société qui est comme ça", que "l’école ne peut pas apprendre à lire, à écrire, à compter à tous les enfants", que "la démocratisation du savoir c’est donner un diplôme à tout le monde", qu’il "ne faut rien changer à l’université, qu’il faut seulement lui donner plus de moyens", que "le chômage est inéluctable et que le plein emploi, ce n’est pas possible", qu’une "monnaie forte c’est bon pour l’économie et que de toutes façon c’est le marché qui décide du cours de la monnaie", que "le libre-échange, on ne peut pas y toucher. Il faut tout laisser passer, il ne faut même pas regarder ce qui passe", que "le capitalisme familial c’est fini, qu’il n’y a plus que le capitalisme financier", que "l’artisanat et le petit commerce, c’est fini", que "l’agriculture, c’est fini", que "les territoires ruraux, c’est fini". D’après lui, la pensée unique "s’accommode parfaitement du communautarisme et de la ségrégation", "du fait qu’il puisse y avoir d’un côté une petite élite qui a droit à tout, et de l’autre la grande masse de ceux qui ne sont même pas assez respectés pour qu’on les juge dignes de recevoir une culture et un savoir". La pensée unique "a décrété la fin de la vieille économie industrielle" (Lille, 28 mars 2007). En résumé, chez Nicolas Sarkozy, la "pensée unique", ce n’est ni un concept "flou", "creux", ou même "polémique", ce n’est même pas un concept ! C’est un grand "tout et n’importe quoi", très commode, puisqu’il y met ce qu’il veut, au gré de son humeur…

Guaino : l’éminence et la matière grises Comment expliquer qu’un tel discours, intrinsèquement contradictoire, et totalement démagogique, ait pu, non seulement, éclore, mais aussi tenir debout, avec l’efficacité que l’on sait ? La réponse est à chercher du côté d’Henri Guaino, la "plume" de Nicolas Sarkozy. A peu près inconnu avant cette campagne présidentielle, cet économiste, "intello de droite", d’après Le Figaro (26 février 2007) et ancien commissaire au Plan, n’en était, en fait, pas à ses premiers discours. En 1992, déjà, il rejoignait… Philippe Séguin : "Ensemble, ils bataillaient contre le traité de Maastricht et écrivaient ’Le discours sur la France’" (Le Figaro). Aujourd’hui, l’homme est au service d’un président fervent défenseur d’un "mini-traité européen" ! Les contradictions ne s’arrêtent pas là puisque, grâce à Henri Guaino, Nicolas Sarkozy peut affirmer que "depuis longtemps la pensée unique nous explique qu’une monnaie forte c’est bon pour l’économie et que de toute façon c’est le marché qui décide du cours de la monnaie. Eh bien ce n’est pas vrai !" Le Monde Diplomatique applaudirait ce discours s’il n’était purement rhétorique. En effet, comment compte faire le nouveau chef de l’État pour "repolitiser" la monnaie ? Sortir de l’euro et rétablir le franc ? Briser l’indépendance de la Banque Centrale Européenne (au risque de briser les relations franco-allemandes) ? Rien de tout cela n’est à l’ordre du jour.

La pensée unique, c’est toute forme d’opposition Au Havre, le 29 mai 2007, Nicolas Sarkozy s’est exclamé : "Je vois bien que la pensée unique est de retour. On la voit s’insinuer partout et s’opposer à tout (…). Elle s’oppose à la déduction du revenu imposable des intérêts d’emprunts contractés pour l’achat de sa résidence principale". Si l’on suit bien son raisonnement, la "pensée unique", c’est donc, tout simplement, la pensée qui s’oppose, quelle qu’elle soit, dans toute sa diversité et sa variété. François Fillon, premier ministre ne manque jamais de rappeler dans ses interventions publiques que le gouvernement est un "gouvernement d’ouverture" (au centre et à gauche), que les propositions qu’il fait sont celles qui ont permis à Nicolas Sarkozy de gagner "largement" les élections, que ce dernier est désormais "le président de tous les Français", que la seule légitimité qui vaille dans notre pays est celle issue des urnes, etc.

Ce discours, qui fustige ainsi la "pensée unique", apparaît donc avant tout comme un insistant rappel à l’ordre, un avertissement adressé au monde syndical, associatif, à la presse d’opinion, et aux mouvements sociaux en général. Un discours typiquement de droite, donc, qui, en réalité, ne fustige aucune "pensée unique". Mais qui, à travers cette seule expression habilement choisie, réussit, au contraire, le tour de force de désigner toutes les "pensées contestataires" qui se développent dans la société civile. Plurielles, inventives, modernes, jeunes, progressistes, ces pensées sont autant de réflexes d’autodéfense face à la politique néoconservatrice et socialement réactionnaire que le gouvernement se propose de (continuer à) mettre en œuvre.

Elles sont aussi, et surtout, les bases sur lesquelles la gauche pourrait trouver le souffle et l’inspiration nécessaires pour son indispensable régénération.


Espérons simplement qu’un grossier tour de passe-passe sémantique ne suffira pas à tout éteindre."

Fabien Eloire

*Source:http://www.interdits.net

Publié dans Sur L'Archipel Rouge

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